Questions-réponses avec Charles Kwanin à l’occasion du lancement du prix des Jeunes Innovateurs Africains pour la Santé

8 décembre 2020. Charles Kwanin

Nous avons demandé à Charles Kwanin, ancien infirmier praticien au Ghana qui travaille actuellement au sein du Comité d’engagement pour l’Afrique de l’IFPMA, comment l’innovation peut aider à résoudre des problèmes concrets auxquels sont confrontés les travailleurs de la santé sur le continent.

Charles Kwanin est un jeune professionnel ghanéen, ancien infirmier praticien, travaillant dans le domaine de la santé mondiale.

Aujourd’hui, la Fédération internationale de l’industrie du médicament (IFPMA) et Speak Up Africa lancent le Prix des Jeunes Innovateurs Africains pour la Santé visant à soutenir de jeunes entrepreneurs africains pionniers dans ce secteur. Les trois lauréats du prix bénéficieront d’un soutien financier et technique leur permettant de concrétiser leurs solutions ayant un impact positif sur la qualité des soins. L’édition 2021 du prix sera consacrée aux innovations visant à soutenir, équiper, protéger et former les travailleurs de la santé.


En effet, au vu de la pénurie de ressources humaines et financières sévissant sur le continent – l’Afrique représente 25% de la charge de morbidité mondiale mais ne compte que 3% du personnel de santé mondial –, la pandémie de COVID-19 a mis à rude épreuve le travail des professionnels de santé et les systèmes de soins dans leur ensemble. La crise actuelle ayant clairement démontré le rôle essentiel que jouent les médecins, infirmières, pharmaciens et travailleurs sociaux, l’OMS a désigné l’année 2021 comme l’Année internationale des travailleurs de la santé et des soins. Le dévouement sans faille de ces millions de professionnels de santé a aussi été reconnu par les États membres de l’OMS lors de la 73e Assemblée mondiale de la Santé.

Pourquoi avez-vous décidé de devenir travailleur de la santé et depuis combien de temps travaillez-vous dans ce secteur ?

Cela n’est pas très original : ma motivation repose sur ma vision d’un monde débarrassé des maladies, mais, vous savez, ce n’est pas simple. Ce chemin professionnel m’a permis de soigner les patients et de soulager leurs souffrances. J’ai exercé en tant qu’infirmier pendant sept ans, dont quatre en tant qu’étudiant, en zones rurales et urbaines.

Votre formation a-t-elle été adaptée à la réalité de votre travail sur le terrain ?

Elle m’a apporté les outils de base qui m’ont permis de fournir des soins appropriés et sûrs à mes patients. Au Ghana, les infirmiers sont formés à faire face aux maladies courantes, que vous êtes amené à rencontrer fréquemment dans votre cabinet et à l’hôpital. Nous apprenons aussi à nous adapter à des situations de crise, à travailler sous contrainte de temps. En revanche, il n’y a pas de formation spécifique pour continuer à se former une fois dans la vie active. C’est là que l’innovation peut aider à relever les défis auxquels les professionnels de santé sont confrontés : elle accélère la recherche de solutions à des problèmes nouveaux ou courants, en particulier dans les situations d’urgence, comme nous l’avons vu avec la pandémie de COVID-19.

Quels sont les plus grands défis auxquels vous êtes confronté dans votre travail quotidien ? De quels soutiens disposez-vous ?

Je me souviens que, quand je travaillais en zone rurale au Ghana, il était très difficile d’obtenir des stocks de sang à cause de la capacité insuffisante de stockage de notre laboratoire. C’est un défi assez habituel dans de nombreuses zones rurales en Afrique. Ce problème était inquiétant. La question a toujours été de savoir si nous pouvions résoudre ce problème et quand des solutions innovantes pourraient être apportées. J’ai parlé récemment à mes anciens collègues : ils peuvent désormais commander et recevoir du sang à n’importe quel moment au moyen de drones. Des innovations comme Zipline, un service de livraison par drones, nous auraient aidé à sauver des vies si elles avaient existé auparavant. Un autre exemple est celui de LifeBank, une entreprise utilisant une technologie de traitement de données pour livrer du sang et des produits médicaux essentiels à des hôpitaux au Nigeria et au Kenya. Tous ces produits sont ensuite livrés à vélo, par bateaux, camions, tricycles ou drones. Vous ne pouvez pas imaginer notre frustration quand, par manque d’outils ou de ressources, nous ne pouvons pas sauver des vies. Je crois que c’est là qu’intervient l’innovation.

Il est aussi extrêmement important que l’innovation soit adaptée au contexte local. Il faut tenir compte des besoins et capacités spécifiques des populations lors de la conception de ces solutions innovantes. Par exemple, et à la différence des grandes villes, de nombreuses zones rurales d’Afrique connaissent régulièrement des pannes de courant qui entravent les services de santé. Il faut donc examiner les forces et faiblesses sur le terrain et identifier les problèmes qui, au-delà des établissements de santé, ont un impact sur nos systèmes de santé.

De quoi auriez-vous besoin pour mieux exercer votre métier ?

Je pense à trois éléments qui aideraient le travail des infirmiers et des professionnels de santé :

Premièrement, le stockage des données des patients. Il est vraiment difficile de récupérer les informations concernant nos patients et leurs antécédents. Au Ghana, les travailleurs de santé sont confrontés à ce défi. Lorsqu’un patient se rend dans un hôpital ou chez un médecin par manque de structures sanitaires ou de spécialistes à proximité de son domicile, vous ne pouvez pas accéder à ses données. Un système de données en réseau, auxquelles les prestataires de soins pourraient accéder et compléter à tout moment, assurerait un meilleur suivi de nos patients. Le système devrait bien sûr respecter la confidentialité et la protection de ces données.

Deuxièmement, la communication médecin-patient. Il existe de nombreuses applications facilitant le dialogue entre le patient et les prestataires de soins, permettant, par exemple, la consultation et la surveillance à distance. Ce type d’innovation faciliterait le travail des prestataires de soins, permettrait d’intervenir plus rapidement et d’améliorer ainsi la santé des patients. Elle favoriserait aussi une approche centrée sur les besoins du patient. Ce rôle actif joué par le patient est particulièrement important dans le traitement des maladies non transmissibles, dont les prévalences augmentent au Ghana, alors que les maladies infectieuses sont encore très répandues.

Troisièmement, l’accès à des médicaments de qualité, sûrs et abordables. Les médicaments sont destinés à guérir ou soulager les patients mais, si leur mauvaise qualité finit par provoquer des effets indésirables ou met leur vie en danger, ils deviennent inacceptables. Les médicaments falsifiés restent un grand défi sur le continent africain. Le Ghana ne fait pas exception. Il faut mettre en place un système réglementaire solide pour suivre et contrôler ce problème. Si vous regardez l’ensemble du continent africain, les frontières sont poreuses et rendent facile la contrebande de faux médicaments. Des solutions innovantes comme l’application M-Pedigree, détectant les produits impropres à la consommation et contrefaits, doivent être développés. Nous devons intégrer ces solutions innovantes dans le plus grand nombre de systèmes hospitaliers. Ainsi, les infirmiers et autres travailleurs de la santé pourront identifier à temps les médicaments falsifiés ou de qualité inférieure. Harmoniser les réglementations du continent pour le contrôle des médicaments, vaccins et autres produits de santé constituerait un effort primordial.

De quelle manière le système de santé au Ghana pourrait être amélioré pour faciliter le travail des travailleurs de santé ?

Il est toujours possible d’améliorer la gestion et l’information de nos systèmes sanitaires. Les plateformes connectées sont essentielles pour le partage d’informations. L’identification des points chauds ou foyers des différentes épidémies ou des situations sanitaires graves doit pouvoir être facilement et rapidement partagée pour déclencher des actions appropriées. La pandémie de COVID-19 nous a montré l’importance des plateformes existantes et de leur intégration dans de nouveaux outils. Il est aussi très important que plus de gens disposent d’une assurance santé, même parmi les populations les plus démunies. Le gouvernement doit élargir les couvertures de l’assurance afin de réduire les dépenses personnelles de santé. Nous devons enfin améliorer les infrastructures et les capacités pour nous préparer aux situations d’urgence.

Enfin, je me suis rendu compte que seuls les hôpitaux universitaires donnent la priorité à la recherche. Je pense que les centres de recherche et de développement devraient être intégrés dans toutes les infrastructures sanitaires du pays, quel que soit leur emplacement, afin d’améliorer les soins et les solutions fondées sur des données probantes. Ainsi, les problèmes locaux seraient facilement identifiés et des solutions innovantes seraient mises au point pour les résoudre. En fin de compte, la volonté politique des responsables de santé est primordiale pour intégrer des solutions innovantes dans les systèmes de soins et les rendre plus efficients.

Nous croyons en la capacité des jeunes de provoquer le changement, d’innover et de devenir les leaders de demain. Pour en savoir plus sur le prix des Jeunes Innovateurs Africains pour la Santé et sur la façon d’y participer, veuillez cliquer ici. Nous nous réjouissons de recevoir les candidatures à partir du 11 janvier 2021 !